Makenga et les Crimes des Guerres en RDC : Quelles Leçons et Stratégies Pouvons-nous Tirer ?


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« L’histoire ne se répète pas, mais elle se plagie » dira Jacques Deval. La technologie a fait que les medias sociaux nous rapprochent au point de communiquer à distance et même dans une forme d’anonymat. Tout le temps que le sujet de justice est évoqué pour le cas République Démocratique du Congo (RDC), plus spécifiquement de sa partie Est, certains de mes interlocuteurs et compatriotes congolais rappellent souvent le cas de Sultani Makenga. Certains ne savent pas le distinguer avec sa communauté ethnique. Et pour les autres, il faut toujours avancer qu’ils ont été victime d’une machination orchestrée par le pouvoir visant une communauté spécifique ; impliquant un qualificatif juridique.

Mon humble argument a toujours été que la justice soit rendue pour tous  mais aussi penser à la réhabilitation des victimes[1]. La seule raison qui me pousse d’avancer cet argument est que la criminalité en RDC est large et s’étend sur une longue période[2]. D’où, asseoir la justice et la paix d’une manière durable requiert de procéder à rendre justice pour tous les crimes commis par qui que ça soit et peut-être couvrant la période d’après indépendance.

Pour rappel, Makenga était le chef du Mouvement du 23 mars (M23) ; une rébellion descendante de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre (AFDL), du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et du Conseil National pour la défense du Peuple (CNDP). Makenga a fait plagier l’histoire congolaise qui ne s’est jamais souciée de la place qu’occupent les criminels dans le domaine public  pourvu qu’ils ne dérangent pas les tenants du pouvoir. Il est l’adepte confident de Laurent Nkunda dont leur idéologie s’inspirerait de celui du Lieutenant Murekezi assassiné en Novembre 1997. Makenga semble avoir eu difficile à surmonter ses frustrations devant une manipulation qui n’a cessé d’endeuiller l’Est du Congo. Au-devant de la scène, il est alors responsable des crimes commis par son mouvement, lequel il n’a pas été l’initiateur au premier plan. Ceux-là qui l’ont manipulé ont encore du temps pour soupir et respirer ; alors que lui est dans les « geôles » en Uganda. Ces manipulateurs ne se soucieraient plus de lui car détenant d’un réservoir où ils peuvent tirer plus des avant-gardes.

Makenga et ses lieutenants sont accusés des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, au point qu’ils pourront répondre aux accusations des viols sexuels. La contribution de cet article est de rappeler que rendre justice aux crimes commis par le M23 ne suffit pas mais il faut l’étendre sur l’ensemble de crimes commis par d’innombrables auteurs. Makenga n’est pas le seul à avoir imité l’histoire de la criminalité qui est restée impunie pendant longtemps. Si Makenga a été identifiée, la question serait de savoir où sont les auteurs des autres crimes ?

En bref, voici quelques faits récents[3] qui démontrent l’ampleur de l’impunité en RDC ; au moment où la situation des victimes détériore quotidiennement tout en espérant qu’ils seront  réhabilités:

ü  16/02/1992 : Les chrétiens qui manifestaient pacifiquement se sont vus noyés dans le feu et armes des forces de l’ordre. Les morts sont estimés entre 20-50 selon les différentes sources

ü  11/05/1990 : Un nombre non encore identifié des étudiants ont été  massacrés à l’Université de Lubumbashi par les forces de l’ordre (Garde Civile et SARM). Certaines sources estiment un nombre allant à une cinquantaine des étudiants tués.

ü  Du 25/3-30/6/1993 : Sur instigation de Kyungu, Nguz Karl-i-Bond et avec appui des Forces Armées Zaïroises (FAZ), des attaques sont perpétrées aux Kassaiens vivant au Katanga (Shaba). Un nombre estimé aux environs de 400 personnes sont exécutées, plus de 130.000 expulsées du Katanga vers le Kassaï. Ces expulsions ont causé des morts de milliers des personnes par des maladies et autres conséquences y relatives ;

ü  Mars 1993 : Le Gouverneur du Nord-Kivu J.P Kalombo usant de sa position et son appartenance ethnique pour inciter aux miliciens Nyanga-Hunde à exécuter à l’arme blanche les civils Hutu-Banyarwanda[4] du Nord-Kivu. Au moins 30 personnes sont exécutées  à Walikale-Masisi et les rescapés se voient noyer dans la rivière Lowa.

ü  Mars-Avril 1993 : Les miliciens Hutu-Banyarwanda tuent au moins 60 personnes de l’ethnie Hunde à Mulinde et Ngingwe dans la zone de Masisi. Ces affrontements ont fait que les écoles, les centres de santé et les églises soient brulés.

ü  Juillet 1993 : Les miliciens Hutu-Banyarwanda appuyés par les FAZ ont exécutés au moins 90 personnes de l’ethnie Hunde, hommes, femmes et enfants à Kibatshiro (Masisi).

ü  Les Médecins Sans Frontières (MSF) estimés qu’entre Mars-Mai 1993, aux environs de 15.000 personnes ont été tuées dans les conflits ethniques au Nord-Kivu et 250.000 ont été obligées de fuir leurs villages ;

ü  Mai 1995 : 6 militants de l’UDPS sont assassinés par la Garde civile et déversés dans les eaux et en même temps 15 personnes sont assassinées dans le camp Tshatshi par les forces de sécurité   

ü  Novembre 1995 : A Mutobo/Masisi, au moins 50 personnes de l’ethnie Hunde ont été tuées par les miliciens Hutu-Banyarwanda du Nord-Kivu ;

ü  Décembre 1995 : Une trentaine des Hutu-Banyarwanda et 4 FAZ sont tués par les miliciens Hunde à Masisi, village de Bikenge

ü  Février 1996 : Une vingtaine de Tutsi ont été tués a Masisi par les miliciens Hunde dans une ferme d’Osso;

ü  Mars 1996 : A Bukombo/Rutshuru, une vingtaine des civils Tutsi ont été tués par des miliciens Hutu-Banyarwanda et Interahamwe ;

ü  Mai 1996 : Les miliciens Hutu-Banyarwanda font irruption dans le monastère de Mokoto et font tuer des dizaines de Hunde et Tutsi à la fois ;

ü  Mai 1996 : Au moins 120 personnes ont été exécutées par les FAZ dans l’opération « Mbata » ; ces personnes appartiendraient aux ethnies Hunde et Nande dans le territoire de Rutshuru, village de Kibirizi

ü  Juin 1996 : Une centaine des personnes appartenant à l’ethnie Nande ont été tuées par les FAZ dans le village de Kanyabayonga, territoire de Lubero ;

ü  Juin 1996 : Des miliciens Interahamwequi se trouvent dans les camps de Mugunga et Katale ont assassinés des dizaines des personnes civils qui fuyaient les Zones en crise ;

ü  Septembre 1996 : un nombre non encore déterminé de Banyamulenge est assassiné à Lweba et Uvira par des civils en armes avec l’appui des FAZ. Certains rescapés sont déportés par force au Rwanda, alors que d’autres disparaissant. Certains leaders de cette communauté sont assassinés a la frontière de Kamanyola (entre le Zaïre et le Rwanda) ;

ü   Septembre 1996 : Une quinzaine des Banyamulenge sont exécutés par les forces de l’ordre à Kamanyola et un nombre non encore identifié des femmes et enfants sont assassinés par des éléments dits Babembe à Lubonja et Nganja ;

ü  19/09/1996 : Au moins 150 personnes appartenant en majorité à la communauté Babembe sont exécutés à Mibunda-Itombwe par des éléments armés dits Banyamulenge. La plupart de ces personnes étaient des civils, dont le chef de groupement Henri SPAK

ü  26/septembre 1996 : 300 membres de la communauté Banyamulenge venus de Bibogobo sont assassinés à Baraka par des éléments dits Babembe avec appui des FAZ. Leurs corps ont été déterrés en 2005 et jetés dans le lac Tanganyika pour effacer les traces;

ü  29-30 Septembre 1996 : plus de 250 Banyamulenge sont assassinés par des éléments dits Babembe à Lweba et Mboko dont leurs corps ont été jetés dans le lac Tanganyika ;

ü  6 Octobre 1996 : Un nombre estimé à 80 personnes sont assassinées à Lemera-Kidote par des militaires dits Banyamulenge qui appartiendraient à l’AFDL

ü  Octobre 1996 : Une centaine de Banyamulenge sont exécutés à Bukavu sur ordre du gouverneur Pasteur Kyebwa wa Lumona et son Vice du nom de Lwabanji ;

ü  Mi-Octobre 1996 : Une centaine des civils sont assassinés à Kaziba (la communauté Bashi) et dans la localité dite Abala-Ngulube (Babembe) dans la zone de Fizi.

ü  10/10/1996 : Un nombre estimé à 170 personnes, Babembe, Bafuliro, Banyindu et autres sont assassines par des éléments dits Banyamulenge à Minembwe ;

ü  29-30/10/1996 : Plusieurs personnes ont été tuées à Bukavu lors de la « libération » de cette ville par l’AFDL. Parmi les personnes tuées, il y a aussi Monsieur Munzihirwa du diocèse de Bukavu qui aurait été tué d’une manière ciblée. 

ü  Novembre 1996 : FDD-CNDD et FAZ ont exécutées au moins 70 des civils Banyamulenge à Kamituga/Mwenga.

ü  Novembre 1996 : Un nombre non-encore connu appartenant à la communauté dite Tutsi est assassiné à Kisangani par les forces de l’ordre ;

ü  Octobre 1996 : Plus de 800 personnes sont tuées par les forces de l’AFDL-APR à Rutshuru, dans le groupement Rugari

ü  Avril 1995- Mai 1997 : Un nombre indéterminé dont des milliers des Hutu rwandais et congolais ont été exécutés, assassinés ou pris dans les deux feux entre les forces de l’AFDL/APR d’un côté et de FAZ-FAR-Interahamwe ;

ü  Aout 1998 : Des militaires Banyamulenge non armés sont assassines à Kamina (300 officiers-élevés), à Kalemie (78), à Kinshasa ils ont été brulées aux pneus sur instigation de Herodia Ndombasi. A Lubumbashi, Kisangani et autres villes du Congo, on en dénombre des milliers de Banyamulenge et Tutsi en général exécutés à cause du discours des leaders politiques et dont certains sont toujours en vie.

ü  Aout 1998 : Une centaine des militaires loyalistes au pouvoir de L.D. Kabila sont exécutés à Kavumu-Bukavu par les forces du RCD-APR ;

ü  18/8/1998 : Au moins 133 personnes d’origine rwandaise sont assassinées par les forces de L.D. Kabila à Kalima-Pangi

ü  24/08/1998 : Un nombre estimé à 1000 personnes appartenant à la communauté Banyindu ont été tuées à Kasika dans la Zone de Mwenga par les forces du RCD-APR

ü  29/09/1998 : Un  nombre estimé à 800 personnes appartenant à la communauté Babembe ont été tuées à Makobola-Fizi par les forces du RCD-APR ;

ü  Des cas pareils sont cités dans différentes zones occupées par les rebelles et les forces gouvernementales durant la deuxième guerre de 1998 : Certaines sources parlent de Burhinyi (124 morts), Katana (27 tués), Mushinga (environ 100 morts), Burhale, Kaniola, Katogota (127 tués), Kamituga (plus de 201 morts)

ü  13-14/08/2004 : 152 personnes Banyamulenge ont exécutées à Gatumba-Burundi par une coalition probable de Mayi-Mayi, FNL et Interahamwe 

La liste est longue à tel point que ces crimes font l’objet des milliers des pages dans différents rapports. Ces cas sont tirés à titre illustratif  pour rappeler au lecteur combien le drame congolais et surtout celui de l’est est horrible. De ce fait, il ne faudra pas considérer que ces crimes se dissiperont par le temps. Au contraire, il faudra en tirer des leçons pour préparer un avenir meilleur pour nos futures générations.

La première est qu’il n’y a jamais eu des crimes sans criminels. De deux, il faudra avoir un sens humain pour considérer que les victimes sont des innocents quelle que soit leur appartenance ethno-communautaire. De trois, l’ensemble de ces crimes n’ont pas connu d’enquêtes et investigations indépendantes pour déterminer les circonstances dans lesquelles ils se sont déroulés, les auteurs directs, indirects, complicité ainsi que les qualifier juridiquement. D’où la nécessite de passer par cette étape avant de rendre justice. De plus, la justice à rendre doit s’inscrire dans la logique de la réconciliation et la réhabilitation des victimes. Enfin, il faudra penser à mettre en œuvre les stratégies appropriées pour éviter que ces crimes se répètent encore dans l’avenir. Comprendre que nous sommes dans l’obligation de vivre dans l’harmonie quelles que soient nos diversités et différences communautaires serait aussi primordial.

Parmi ces stratégies, il importe de mettre en pratique l’idée d’un tribunal spécialisé pour la RDC afin toute forme d’influence et de manipulation de la part des forts présumés coupables soient mises en l’écart. D’une manière spécifique, l’Est du Congo doit repenser le rôle du pouvoir central qui a entretenu et entretiendrait toujours une brèche enfin de tirer profit de ces crises intra-communautaires. Il en résulterait une leçon d’asseoir un système politico-administrative approprié tenant compte des spécificités socio-culturelles de cette partie ; compétent et fort de gérer ses diversités vers un avenir meilleur. Pensez-vous à une autre stratégie importante ? Votre avis peut s’ajouter comme commentaire.

Ntanyoma R. Delphin

Compte Twitter @delphino12

Email: rkmbz1973@gmail.com

Blog: www.edrcrdf.wordpress.com      


[2] Lanotte, Olivier « Chronologie de la République Démocratique du Congo/Zaïre (1960-1997) »,  Février 2010, Online Encyclopedia of Mass Violence. Retrouvable sur le lien: http://www.massviolence.org/Article?id_article=486

[3] Il est fort probable que les dates et le nombre en terme statistiques  ne soient pas corrects. L’article s’excuse de cela, il s’agirait d’une erreur involontaire.

[4] Le terme est utilisé dans la suite pour signifier les Hutu congolais du Nord-Kivu pour lever l’équivoque entre Hutu congolais et Hutu rwandais.

9 thoughts on “Makenga et les Crimes des Guerres en RDC : Quelles Leçons et Stratégies Pouvons-nous Tirer ?”

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